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Une boussole dans le coeur

    Ça fait longtemps que je ne t’ai plus écrit...t’as dû t’en, rendre compte en te précipitant dans le petit matin blême et froid vers ta boîte aux lettre, après le passage du facteur. C’est vrai qu’il passe plus très souvent, maintenant...Et qu’en dehors des pubs personnalisées et des factures, il ne distribue plus grand chose. D’intéressant en tout cas, parce que les pubs , ça en fait beaucoup, du poids . Bon.
    Donc tu ne précipites probablement pas dans le petit matin, toujours aussi blême et frisquet, ceci dit.
    J’avais plus fort envie d’écrire. A quoi bon...Et je savais plus non plus trop quoi dire. Mais voilà qu’il m’est arrivé un truc. Un truc bizarre. Et plus j’y réfléchis, plus je me dis que c’est vraiment un drôle de truc.
    Bon, Je te raconte.
    Tu connais, je suppose, le Cap gris Nez. ? Ouais, c’était le but d’excursion  tout trouvé les jours de temps pas trop beau, venteux et un peu couvert, quand on passait ses vacances à la mer du Nord. Mais tu passais peut-être pas tes vacances à la mer, toi ? En fait, j’en sais rien. C’est fou quand même qu’on peut se connaître depuis des années et ne pas savoir des stûtes pareils.

 

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    Bref. On montait dans la deuche du frangin, on allait jusque Calais, on grimpait le Cap Blanc Nez. On se prenait une bonne claque de vent dans la tronche et les jours pas trop bouchés on zyeutait au loin les falaise de la perfide Albion. Au retour au ramenait des raisins et un bouteille de pastis que ma mère planquait quelque part avant la douane, non, monsieur, on a rien à déclarer, nous.... Je me rappelle plus au juste où elle la planquait, la bouteille. J’étais un enfant plutôt coincé.
    Parfois on allait jusqu’au Gris-Nez. C’était un rien plus loin, et moins spectaculaire...
Des années après, je me suis rendu compte que c’était là le vrai cap..Parce que c’est là le tout dernier bout de l’Atlantique, qui sort le doigt de sa Manche et chatouille notre Mer du Nord du bout de l’ongle.
    Et bon. L’autre jour, j’y étais. Une chtite semaine en famille à Wissant, à manger les meilleures moules et les meilleures frites du monde, arrosées de muscadet, c’est le paradis. D’ailleurs c’est tout un peu le paradis, par là. Mais faut pas trop le répéter. Que les autres continuent à aller en Espagne, oui oui...Le moule-frites à Torremolinos est aussi bon qu’à Blankenberge, d’ailleurs...
    Mais bon, bref, derechef.
    Alors voilà...Un bon jour bien venteux, je vais au Gris-Nez, pieds nus dans les vagues en prenant tout le temps de regarder le ciel, les nuages, de me faire engueuler par les mouettes ( je le leur rends bien, par ailleurs ), de me saoûler à l’air  marin...
    Le vent est plutôt doux, printanier.
    J’arrive au Gris-Nez, je quitte la plage. Un regard ému au bistrot qui surplombe la petite plage, La Sirène, il s’appelle. C’est là que voici des années je me suis foutu une tamponne de Taranis en compagnie du fils à Raoul et des ses copains, au hasard d’une randonnée qui m’avait mené, moi et le violon, de Coxyde à la baie de Somme.
    Je traverse le cap, passe sous la station de repérage, ( un panneau explique en quelques langues à quoi ça sert, le trafic dans la Manche, tout ça ) , et là, de l’autre côté, c’est l’immensité océane...
    Enfin, c’est comme ça que je le sens, moi...
    Le ciel est bleu, un peu voilé...Le soleil est là, tout doux. Et ça vente un paquet d’air marin qu’on le boirait à la paille pour le faire durer...
    Je prends le sentier côtier, qui va vers Boulogne. Les abords de la station sont trop clean pour moi. Sentiers goudronnés, balisés, sécurisés. Belvédères ceinturés de clôture, pas trop hautes, il est vrai, et en bois.
    Après une centaine de mètres, je m’écarte du chemin et m’installe au bord de la falaise. Et là, debout, appuyé sur mon bâton de pèlerin, je respire à plein poumons. A donfe. Que chaque cellule de mon corps puisse jouir de sa dose d’air, de vent et de ce pétillement lumineux qui en fait la trame.
    Je suis là, totalement dans cette immensité bleutée. Peu à peu je suis pris par le soleil et le vent. Une heure, peut-être, d’abandon progressif avant que la joie ne jaillisse, tout au fond de ma poitrine.
    Le doigt de l’infini fusionne avec mon coeur. Joie immense. Je ris et je pleure en même temps. Orgasme de l’être. Et tout au bout, tout au bout –c’est là que ça devient inhabituel- une sensation d’amour. Plus que ça : la certitude d’être aimé. Ça ne m’était jamais arrivé, ça.
    La joie, oui. Rire et pleurer de tant de bonheur, oui. Mais cette indiscutable sensation d’être aimé de ce qui me touche, non.
    J’ai beau savoir qu’en définitive « ce n’est qu »’une osmose , une fusion entre mon énergie et l’énergie cosmique, j’ai beau « savoir », je me sens bouleversé. Comme après l’amour. Ravi, au juste sens de ce mot.
    J’ouvre les yeux. Je ne suis plus seul. D’autres gens sont venus, attirés par je ne sais quoi, peut-être la sensation confuse qu’il se passe là quelque chose d’important, qui pourrait les concerner aussi. Ils sont là, ils regardent vers l’immensité, sans trop savoir que faire. D’autres qui s’essaient à se perdre, comme ils peuvent.
    Moment magique, comme il en arrive parfois dans un concert, dans une rencontre.
Je referme les yeux et mon être boit encore à la source. Encore un long moment de joie inexprimable. Puis je me décide à m’arracher. Je suis de nouveau seul, les autres sont partis sur la pointe des pieds. Je remarque alors combien ils étaient silencieux, ces gens.
    Chemin faisant, je m’arrête de nouveau, le temps d’un dernier regard reconnaissant.
    Sur un banc, une dame. Elle me dit qu’elle resterait là toujours. Elle aussi, elle sait. Pas besoin de mots. C’est au-delà.
    Je rentre, le long de la mer, pieds nus dans l’eau froide.
    Et puis, les questions, idiotes. C’est quoi qui fait ça ? Le lieu ? Un ancien site sacré, mégalithique, tellurique ? Le moment de l’année. Vrai que c’est la première pleine lune de printemps, celle dont les Chrétiens ont fait Pâques, où l’on bénit toujours l’eau et le feu.
    Est-ce l’Eveil, ce truc dont les Bouddhistes parlent en se tapant sur les cuisses tant ça les fait marrer ?
    Et bon, la suite, tu imagines. Je reviens à Wissant nuit tombante. On va se manger un moules frites. Je continue les jours suivants mes balades méditatives. Je chante à tue-tête en me faisant engueuler par les goélands. Je me baigne même une fois ou deux. Puis on revient. Les routines reprennent. La vie de tous les jours. Mais depuis je suis incapable de voir le monde, les gens, de la même manière.
    Comme si le doigt de l’Océan avait fait flleurir une boussole dans mon coeur.
Voilà. Tu me connais, c’est difficile de trouver un mécréant pire que moi. Mais y a des fois, quand même, je me demande. Et si c’était pas comme on croit ? Si en réalité, tout était d’une simplicité tellement évidente que nous sommes incapables de la voir ?
    Et si c’était ça, la révolution ? S’arrêter ensemble et tous s’ouvrir au chant du monde ?

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