Comment j'ai failli être fusillé et dévoré par des chiens féroces, un beau matin d'automne.
Récit court et ( à peu près ) authentique.
La chaleur. Le cagnard.
Vers les cinq heures du soir.
Un café, bien tassé, dans un tabac, et puis direction sortie de ville. Je marcherai ce qu'il faut.
Pas la peine de chercher un bus ; trouver un arrêt en espérant qu'il y ait un plan du réseau, arriver à le déchiffrer, pour se rendre compte que, justement, ce jour là y a rien...
Non, le jeu n'en vaut pas la chandelle. De toute façon, faut être indigène pour s'y retrouver dans les transports en commun.
Je préfère marcher, grosso modo, vers le Sud-Ouest. Les routes, c'est comme les rivières . Tu suis les plus petites qui se jettent dans de plus grosses, qui, elle-mêmes, finissent par se jeter dans les nationales !
Nationale 6 ( ou 7 ? ) , me voilà. Direction la côte, Montpellier.
J'ai envie, ce soir, de dormir quelque par sur cette immense plage de sable caillouteux qui borde la lagune, entre Palavas et le monastère de Villeneuve.
Dormir au bord de la mer.
J'équilibre ma charge. Sac de couchage en bandoulière d'un côté, musette de l'autre, la sangle du violon en
guise de baudrier.
J'avance. Il fait chaud, mais pas lourd. Peu à peu, la banlieue s'annonce.
Je suis les panneaux routiers, en évitant soigneusement les bleus, ceux qui renseignent l'autoroute.
Rien de pire que d'être coincé des heures devant un péage, au bout d'une file d'auto-stoppeurs vacanciers, littéralement au milieu de nulle part.
Avec la perspective de marcher quelques lieues pour retrouver une route, disons, praticable.
Sans me tromper, j'arrive sur la Nationale.
Quelques magasins, bricolage, quincaillerie, des surfaces commerciales, un ou deux stations service, des carrefours. J'avance deux ou trois bornes et je finis par arriver à quelque chose qui ressemble à une route. Ce qui veut dire, hors de la ville. En l’occurrence, un long ruban de bitume, bordé d'arbres, avec un ruban jaune pointillé dessiné en son centre.
Je passe le dernier feu rouge, et j'avance encore d'une vingtaine de mètres jusqu'à un renfoncement qui semble prévu pour les arrêts ( de bus ? ) et je m'installe.
Pouce en l'air. Trafic moyen. J'attends une petite demi-heure, puis un gars s'arrête. J'ouvre la portière, je rentre, en casant vaille que vaille le barda à mes pieds, je m'assieds.
« Tu vas où ?
- Montpellier
- Je m'arrête à mi-chemin. Ça t'avancera. »
Juste. C'est de toute façon toujours mieux de quitter la proximité des villes. On échange quelques paroles. Le gars revient du boulot, il est pas causant . Ça tombe bien, moi non plus. On roule. Paysage campagnard. Des champs, des arbres. Moment donné, il me dit :
« Voilà. Je vais te laisser là. Moi, je prends à droite »
Je salue. Récupère mon barda. Sors de la bagnole.
« Bonne chance ». Un signe de la main, il démarre.
Allez, vaï, on remet ça.
Quelques mètre passé le carrefour, un espace avec bordure, où une voiture peut se garer sans problème.
Je reprends la pose. Mais...
Il est passé où, le trafic ? J'ai perdu la notion du temps, ou quoi ?
Le ciel prend, il est vrai, des teintes vespérales. Et la circulation aussi.
Un véhicule toutes les cinq minutes. Ça va pas le faire, là.
J'insiste. Une bonne heure.
Bon, trop tard, que je me dis.De toutes façons, arriver dans une grande ville en pleine nuit, c'est le meilleur moyen de passer une nuit blanche. Alors, où dormir ?
Pour la bouffe, ça va. Me reste un saucisson et quelques carottes. Et de la flotte.
Je danse d'un pied sur l'autre pendant quelques minutes, et puis je me décide. Je quitte la nationale et m'engage sur une petite route, à l'opposé de celle que le gars a emprunté tout à l'heure.
Route de campagne. Étroite mais bitumée. Des champs sans haie, mais bordés de fossés pleins d'eau. Un arbre de temps en temps, pas de quoi faire un bosquet convenable. Je marche. Parfois la route croise l'un ou l'autre chemin de terre, qui,après avoir franchi le fossé, va se perdre dans des champs désespérément dénudés. La nuit tombe, bientôt on n'y verra plus. Je distingue vaguement, droit devant, une masse qui ressemble à un petit bois. Après quelques minutes , j'arrive face à un portail. La route tourne vers la gauche, et, vers la droite, un petit chemin longe ce qui, de fait, est un petit bois, à peine bordé d'une clôture qui n'arrêterait pas une biche. Bon, ça ira. Propriété privée, de toute évidence, mais pas le choix, vu le genre de pays hyper cultivé que j'ai vu jusqu'ici. J'avance d'une centaine de mètres, puis je rentre dans le bois par une faille de la clôture. Et cherche un coin où m'installer confortablement.
Pas difficile. Le sol est sec, les feuilles abondantes.
Rien de tel qu'un doux matelas de feuilles. Par les trous dans le feuillage, je regarde les étoiles s’allumer.
Et puis, la douce chaleur du sommeil.
Soudain, des aboiements. J'ouvre un œil. Il fait jour. Dormi comme une souche.
Mais les aboiements, furieux, se rapprochent.
Alerte rouge. Je bondis hors du sac de couchage. ET en moins d'une minute, je suis prêt.
Mais trop tard. Les chiens sont là, pas seuls. Ils sont deux. Tenus en laisse par un mec en tenue treillis, genre chasseur.
À son épaule, derrière le dos, un canon brille. Dès lors, je ne bouge plus. Deux chiens, un fusil, un chasseur déguisé en militaire, c'est le genre de truc qui me procurent sur le champ l'impassibilité d'un Bouddha, le calme mis à part.
En fait, je panique.
Le gars m'interpelle.
« Ça fait depuis hier soir qu'il s'agitent, les clébards »
Silence. Il continue.
« J'aurais pu les lâcher, ce matin »
Sous-entendu, remercie ma grandeur d'âme...
Ceci dit, déjà d'ordinaire je suis pas bavard, mais là, je pourrais jouer le rôle de la carpe dans « le Monde du Silence » du commandant Cousteau, qui enchanta mon enfance.
Le baroudeur-châtelain d'en face, se détend quelque peu, se rend compte qu'il n'y a pas de véritable menace sur ses possessions, et qu'appeler les flics lui ferait perdre une partie de sa journée.
« Bon. Vous filez et qu'on vous revoie plus dans le coin »
Et alors, ben, je me sauve.
J'embarque mon matos vaille que vaille et je franchis la vague clôture, la sensation de porter une cible dans le dos, des fois que Tartarin changerait d'avis.
Le bitume de la route.
Je pars sur la gauche, après une centaine de mètres je commence à laisser le petit bois derrière moi, et dès lors je respire mieux. Mais je trace, une deux une deux. Cinq cent mètres, un carrefour. Petite route avec des marquages au sol. Devrait moment donné se jeter dans la Nationale. J'avance. Champs des deux côtés, bordés de fossés. Au loin, une rangée d'arbres. La route ?
Après un km, plus calmement, un carrefour. C'est bien ça. Deux trois maisons. Dont un café. Ouvert.
Je rentre. M'assieds. Souffle un coup.
Je commande un café. « Arrosé, svp », j'ajoute.
Le patron me l'apporte, un rien goguenard...
« La nuit a été froide ? »
Je lui raconte mon aventure, en insistant bien que, non, pas moyen de deviner que c'était privé.
Il se marre.
« T'es mal tombé. Le gars, c'est un parigot. Pas vraiment méchant, ma foi, mais un peu...excessif, parfois. »
Je termine le café. Je repars.
Le patron : « Bonne route, mon gars ! »
Et me voilà de nouveau le pouce en l'air...