J'ai cherché la rencontre.
Cherché de toutes mes forces, avec conviction, avec la certitude que ce n'était qu'une question de temps...Dans tous les lieux où, autrefois, en d'autres temps, la Rencontre pouvait survenir, et puis je me suis rendu compte que ces lieux de rencontre - les cafés, la rue, les trains, les bus, les cinés, étaient ou bien désertés, délaissés, ou bien transformés en lieu de passage, espaces de transit, relais virtuels où des gens pressés de quitter leur cocon obligatoire du boulot pour s'enterrer dans leur cocon "librement choisi" laissent traîner des odeurs de désinfectants corporels, se protégeant chemin faisant derrière un ordinateur portable, un MP3, ou manipulant un GSM comme jadis les bigots égrenaient leur chapelet....
J'ai cherché la rencontre.
Trop de solitude, trop longtemps, pas fait pour ça....
En moi trop de choses à partager, trop de joies, trop d'émerveillement, de goût de vivre à donner...Trop de ces choses qui s'aigrissent et font mal quand on ne peut les donner, qui alors serrent le cœur et le ventre en une carapace de chagrin...
Et bon. La rencontre n'est pas venue, et je doute maintenant qu'elle se produise un jour. J'avais fini par faire comme tout le monde. Internet. On m'avait dit, "ça marche, tu sais !", preuves à l'appui. Alors, en avant, marche. Et bien sûr, je n'ai trouvé personne.
Contacts fuyant comme poissons d'argent porté par la vague.
Contacts virtuels et ne demandant qu'à le rester.
Echange de phrases sans lendemain.
Rien de consistant.
M'en suis très vite lassé, sans compter que le clavier prive du plaisir même de dessiner ses mots et que nos saints écrans me tourneboulent les yeux en peu de tremps…
J'ai laissé trainer des "profils".
Appelons ça, si vous voulez bien, le Curriculum Vitae du candidat à la rencontre.
J'ai reçu quelques messages, à force...mais jamais la mayonnaise n'a pris...
Le plus fou, ce furent ces messages d'encouragement...
"J'aime bien ton profil. Bon courage dans ta recherche..."
Et merde ! Serais-je TROP bien pour vous ?
Mais j'en crève, bordel, j'en crève !
Et donc voilà. je laisse tomber.
Rien trouvé d'autres que de lointains échos qui se perdent quand on tente de les approcher, en tant qu’être de chair et de vent, de terre et de lumière...
Et je me demande...
La réalité vous fait-elle peur ?
Le réel ?
Sommes-nous, moi , et peut-être quelques autres, trop réels dans un monde qui perd sa substance à mesure qu'il se change en argent, au point même que l'argent n'a plus d'autre consistance que celle de megabytes à transmission virtuellement instantanée ?...Que reste-il à toucher dans ce monde ?
Pourquoi ?
Les regards se fuient, d'évitent, glissent les uns contre les autres...
Et pourtant c'est là la première rencontre possible...
Mais n'expriment-ils pas souvent la peur de l'autre, la peur de ce qui n'est pas le rassurant ego standardisé, formaté aux normes non-dites d’un Système niant le Vivant.
Et pour ceux qui comme moi sont, c'est dur...
On ne roule pas sur les rails, on ne partage aucune des croyances communes...
Je suis une sorte de faune des forêts, un lutin des bords de mer, fait de vent, de nuages, de terre, de vagues, de l'écume des vieilles légendes et de danses autour du feu, mon coeur est braise et mon corps désir d'un autre corps pour s'y fondre en courants d'étoiles....
Mon être est doux et tendre, fou comme le vent du sud à la fin de l'hiver....Je ne suis ni macho, ni "viril", ni dur, ni jaloux....
Je suis pétillant et joyeux quand le découragement qui est l'essence de votre monde ne me submerge pas....
Et je vous le dis, ça n'intéresse personne...à la limite certains se sentent rassurés qu'il existe encore, malgré tout, des gens comme moi, de même qu'il existe encore des pandas et l'une ou l'autre baleine bleue...
Anachronique...
Et puis, ça fait peur aux belles....
Oui...Je crois vraiment que ça vous fait peur, belles dames...Et vous fuyez...
Mais que fuyez-vous ?
Ce qui pourrait s'éveiller en vous ?
La fontaine jaillissante, contenue, retenue de force dans les profondeurs, et qui d'un coup risquerait de se changer en océan dont les vagues s'en iraient engloutir toutes ces certitudes acquises au prix de tant de renoncements oubliés ?
Et dès lors vous vous taperez des machos, des mecs durs, "viril", impuissants, insensibles, espérant pouvoir un jour les faire fondre...Et c'est ainsi que l'on voit des femmes chaudes, sensuelles, aimantes, agrippées de toutes leurs forces à des blocs de béton...
Moi je ne suis rien. Je prétends n'être rien d'autre que ce grand courant de vie qui se sert de moi...et je sais que ce courant fait peur, à moins de se laisser porter par un courant qui s'en rapproche...
Et c'est là la rencontre.
Deux courants qui s'attirent, deux courants de vie qui s'approchent et se touchent si on les laisse faire, et pour ceux qui les vivent -car les courants ne "savent" pas- la rencontre est inattendue, imprévisible, parfois bouleversante, surtout quand les corps se rencontrent...
On ne peut en faire quelque chose de standardisé, stéréotypé, et c'est pourtant ce qu'"ils" essayent de vous faire croire, au risque de rendre toute vraie rencontre vivante impossible...
"Cherche un tel, une telle, telle catégorie, tels goûts, telle pointure, fumeur ou non fumeur, tel âge, telle couleur de cheveux, tel signe, etc..." et ce ad nauseam, et nos marchands de bonheur prétendent qu'on le trouvera au bout de cette quête insensée de l'"alter" ego, bien nommé ici, l'autre soi-même, la copie presque conforme dont on pourrait même choisir les éventuelles divergences....en attendant le jour où nous serons tous des clones de la même souche industrielle...
Arrêtez. Brisez ces miroirs qui ne vous font voir qu'un ego de catalogue...Ouvrez les yeux. Osez voir les regards que vous croisez...certains sont lumineux...Quittez les rails des magazines, des spots télé, des modes préfabriquées, des conseils bien intentionnés, des blouses blanches , des gourous et des thérapeutes de tout calibre...Ecoutez, sentez votre coeur et cette formidable pulsion de vie...
Et le vent pourra à nouveau nous remplir de joie....