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  • En attendant l'écho...

        C’est un type, il est seul, tout seul.
        Trop seul, trouve-t-il, et depuis longtemps, trop longtemps. Y a des gens, c’est vrai, ils sont comme ça, seuls, tout seuls, tout le temps, et ça leur va . Ils s’installent bien peinards dans une cellule monastique, ou sur une île déserte, quand ils peuvent se le permettre. Pour ça, faut des sous. Pour l’île, pas pour le monastère, quoique. Enfin, bref, tout ça pour dire qu’il y a des gens qui n’en souffrent pas trop.
        Le gars, là, ça l’arrange pas vraiment. Parce qu’il est plein et que ça déborde. Pas plein comme le soir du quatorze juillet, ou de la Saint-Patrick, hein, faut pas croire. Non. Plein en permanence de tas de trucs tout ronds, tout chauds, tout doux, comme une onde pétillante qui n’attend que de pouvoir se déverser joyeusement dans un océan d’étoiles. Bref, ce genre de choses qui sont difficiles à tailler en cubes et à conditionner serrées pour que ça soit rentable, comme une chose qui se respecte. Des choses du genre, on va dire, l’odeur des forêts en été après la pluie, le ruisseau qui cascade au milieu d’un vallon de feuilles rouges et de pierres blanches, l’immensité du ciel étoilé qui donne ce doux bouillonnement au creux du ventre... Des choses aussi comme le rire d’un enfant, une gigue endiablée, des copains autour d’un feu , et le vent du Sud quand viennent les premiers bourgeons. De toutes ces choses qu’on ne goûte vraiment que quand on les partage.

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        Alors donc, comme être tout seul ça l’arrange pas, il sort de chez lui et il marche son chemin. C’est vrai que ça peut arriver qu’on rencontre quelqu’un en restant couché dans son tonneau, comme l’autre là, chez les Grecs de l’Ancien Temps, mais les temps ont changé, depuis, et pas un peu. Essayez voir de vous installer dans un tonneau sur la Grand-Place de votre bled, vous. Oh, vous ferez des rencontres, sûr. Du genre prévisible, à casquette.
        Bref, il marche. Il va de gauche et de droite, il prend des trains, des bus ( parce qu’en plus il a pas de bagnole, le gars, y en a qui cherchent vraiment la difficulté ), il va là où on trouve les gens qui sont censés aimer les mêmes trucs, vous savez, ces bidules qu’on sait pas bien tailler en cubes symétriques et équitables pour l’exploitation. Et à force, il en fait, des rencontres. Et c’est là aussi qu’il se rend compte que le monde a bien changé depuis le jour lointain où il avait déposé son sac, en revenant de Californie, soit dit en passant. Et à force de rencontres son sentier, à lui, croise son sentier, à elle...
        Est-ce toujours comme ça que ça se passe ? Dites, moi, vous-qui-savez !
        Cet émerveillement devant ce qui pourrait être, ce qu’on sent qui pourrait jaillir, et en même temps cette peur, cette souffrance, que cette lumière ne s’allume pas ? Et que faire ? Parler ? Dire ? Mais que dire, et comment, qui ne la fasse pas s’enfuir ? Dans ce monde où chacun a tant de cicatrices à lécher... Je veux dire, chacun de vivant.
        Et voilà. Il ne sait pas. Il ne connaît pas les mots. Il ignore les paroles qui pourraient venir  dans le chaud courant qu’il ressent, quand elle se tient tout près. La vague chaude, douce, dorée, comme une source de miel qui le prend jusqu’aux gros orteils quand, parfois, il pose les mains sur ses épaules, l’air de rien...
        Sa Maman ne lui a rien appris de tout ça. Elle, elle ne connaissait que les larmes et les bouquine de la série rose, et, quand elle chantait, son chant préféré était le chant des galères, «j’ai pas tué j’ai pas volé », ou alors «les rose blanches » qu’elle chantait de tout son coeur, et ça lui déchirait le sien.
        Son Papa, lui, ne connaissait que le travail grisâtre et sans joie, et, quand il chantait, c’était l’office des morts, en grégorien dans le sound. Les jours où il était de bonne humeur.
        Ce qui explique peut-être en passant pourquoi notre gars, là, s’était efforcé d’apprendre le Gaulois, langue qu’on disait pourtant disparue depuis belle lurette, mais qui s’accrochait encore quelque part, entre les vagues de l’Océan, les tempêtes d’Ouest, les bosquets d’ajonc et les cailloux tombés des souliers des déesses et des dieux oubliés...
        Bref...
        Alors, donc, il ne dit rien parce qu’il ne sait rien dire. Et elle vient. Une fois, deux fois. Ils vont ensemble dans les bois éclatant de toutes les couleurs de l’automne, et ils partagent la présence d’un vieux hêtre paisible, et ils se découvrent des émerveillements semblables, et du haut d’une trouée dans la forêt ils font ensemble des grands signes aux rabatteurs en train d’attendre sur l’autre versant de la vallée, et...il la regarde, elle, aussi belle que la forêt et elle se demande ce qu’il regarde...
        Et puis elle ne vient plus...Elle habite loin, loin, près des hauts plateaux autrefois couverts de tourbières, avant qu’on ne les change en champs de sapins, et qui l’hiver sont encore parfois couverts de tant de neige qu’on ne peut y marcher que lentement, en levant bien les pieds.
        Lui, il habite à l'autre bout du plateau, là où l’on devine la grande vallée qui précède les immensités blanches de la Champagne.
        Et il ne possède qu’une vieille mobylette asthmatique peu à même de tenir le cap sur des routes balayées de vent, de pluie ou de neige.
        Alors, il attend... Il téléphone, envoie des SMS. Il ne veut pas insister, chacun est libre de son chemin.
        Et elle répond.
        Elle dit, "Oui".
        Elle dit, "Oui, on peut être amis..."
        Et il repart.
        La routine grise du quotidien. Le train du matin, « salut , ça va ? ». La chope du midi au buffet de la gare .
        Et, entre deux nuages, l’immensité qu’il n’en peut plus de garder pour lui seul...

  • Une boussole dans le coeur

        Ça fait longtemps que je ne t’ai plus écrit...t’as dû t’en, rendre compte en te précipitant dans le petit matin blême et froid vers ta boîte aux lettre, après le passage du facteur. C’est vrai qu’il passe plus très souvent, maintenant...Et qu’en dehors des pubs personnalisées et des factures, il ne distribue plus grand chose. D’intéressant en tout cas, parce que les pubs , ça en fait beaucoup, du poids . Bon.
        Donc tu ne précipites probablement pas dans le petit matin, toujours aussi blême et frisquet, ceci dit.
        J’avais plus fort envie d’écrire. A quoi bon...Et je savais plus non plus trop quoi dire. Mais voilà qu’il m’est arrivé un truc. Un truc bizarre. Et plus j’y réfléchis, plus je me dis que c’est vraiment un drôle de truc.
        Bon, Je te raconte.
        Tu connais, je suppose, le Cap gris Nez. ? Ouais, c’était le but d’excursion  tout trouvé les jours de temps pas trop beau, venteux et un peu couvert, quand on passait ses vacances à la mer du Nord. Mais tu passais peut-être pas tes vacances à la mer, toi ? En fait, j’en sais rien. C’est fou quand même qu’on peut se connaître depuis des années et ne pas savoir des stûtes pareils.

     

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        Bref. On montait dans la deuche du frangin, on allait jusque Calais, on grimpait le Cap Blanc Nez. On se prenait une bonne claque de vent dans la tronche et les jours pas trop bouchés on zyeutait au loin les falaise de la perfide Albion. Au retour au ramenait des raisins et un bouteille de pastis que ma mère planquait quelque part avant la douane, non, monsieur, on a rien à déclarer, nous.... Je me rappelle plus au juste où elle la planquait, la bouteille. J’étais un enfant plutôt coincé.
        Parfois on allait jusqu’au Gris-Nez. C’était un rien plus loin, et moins spectaculaire...
    Des années après, je me suis rendu compte que c’était là le vrai cap..Parce que c’est là le tout dernier bout de l’Atlantique, qui sort le doigt de sa Manche et chatouille notre Mer du Nord du bout de l’ongle.
        Et bon. L’autre jour, j’y étais. Une chtite semaine en famille à Wissant, à manger les meilleures moules et les meilleures frites du monde, arrosées de muscadet, c’est le paradis. D’ailleurs c’est tout un peu le paradis, par là. Mais faut pas trop le répéter. Que les autres continuent à aller en Espagne, oui oui...Le moule-frites à Torremolinos est aussi bon qu’à Blankenberge, d’ailleurs...
        Mais bon, bref, derechef.
        Alors voilà...Un bon jour bien venteux, je vais au Gris-Nez, pieds nus dans les vagues en prenant tout le temps de regarder le ciel, les nuages, de me faire engueuler par les mouettes ( je le leur rends bien, par ailleurs ), de me saoûler à l’air  marin...
        Le vent est plutôt doux, printanier.
        J’arrive au Gris-Nez, je quitte la plage. Un regard ému au bistrot qui surplombe la petite plage, La Sirène, il s’appelle. C’est là que voici des années je me suis foutu une tamponne de Taranis en compagnie du fils à Raoul et des ses copains, au hasard d’une randonnée qui m’avait mené, moi et le violon, de Coxyde à la baie de Somme.
        Je traverse le cap, passe sous la station de repérage, ( un panneau explique en quelques langues à quoi ça sert, le trafic dans la Manche, tout ça ) , et là, de l’autre côté, c’est l’immensité océane...
        Enfin, c’est comme ça que je le sens, moi...
        Le ciel est bleu, un peu voilé...Le soleil est là, tout doux. Et ça vente un paquet d’air marin qu’on le boirait à la paille pour le faire durer...
        Je prends le sentier côtier, qui va vers Boulogne. Les abords de la station sont trop clean pour moi. Sentiers goudronnés, balisés, sécurisés. Belvédères ceinturés de clôture, pas trop hautes, il est vrai, et en bois.
        Après une centaine de mètres, je m’écarte du chemin et m’installe au bord de la falaise. Et là, debout, appuyé sur mon bâton de pèlerin, je respire à plein poumons. A donfe. Que chaque cellule de mon corps puisse jouir de sa dose d’air, de vent et de ce pétillement lumineux qui en fait la trame.
        Je suis là, totalement dans cette immensité bleutée. Peu à peu je suis pris par le soleil et le vent. Une heure, peut-être, d’abandon progressif avant que la joie ne jaillisse, tout au fond de ma poitrine.
        Le doigt de l’infini fusionne avec mon coeur. Joie immense. Je ris et je pleure en même temps. Orgasme de l’être. Et tout au bout, tout au bout –c’est là que ça devient inhabituel- une sensation d’amour. Plus que ça : la certitude d’être aimé. Ça ne m’était jamais arrivé, ça.
        La joie, oui. Rire et pleurer de tant de bonheur, oui. Mais cette indiscutable sensation d’être aimé de ce qui me touche, non.
        J’ai beau savoir qu’en définitive « ce n’est qu »’une osmose , une fusion entre mon énergie et l’énergie cosmique, j’ai beau « savoir », je me sens bouleversé. Comme après l’amour. Ravi, au juste sens de ce mot.
        J’ouvre les yeux. Je ne suis plus seul. D’autres gens sont venus, attirés par je ne sais quoi, peut-être la sensation confuse qu’il se passe là quelque chose d’important, qui pourrait les concerner aussi. Ils sont là, ils regardent vers l’immensité, sans trop savoir que faire. D’autres qui s’essaient à se perdre, comme ils peuvent.
        Moment magique, comme il en arrive parfois dans un concert, dans une rencontre.
    Je referme les yeux et mon être boit encore à la source. Encore un long moment de joie inexprimable. Puis je me décide à m’arracher. Je suis de nouveau seul, les autres sont partis sur la pointe des pieds. Je remarque alors combien ils étaient silencieux, ces gens.
        Chemin faisant, je m’arrête de nouveau, le temps d’un dernier regard reconnaissant.
        Sur un banc, une dame. Elle me dit qu’elle resterait là toujours. Elle aussi, elle sait. Pas besoin de mots. C’est au-delà.
        Je rentre, le long de la mer, pieds nus dans l’eau froide.
        Et puis, les questions, idiotes. C’est quoi qui fait ça ? Le lieu ? Un ancien site sacré, mégalithique, tellurique ? Le moment de l’année. Vrai que c’est la première pleine lune de printemps, celle dont les Chrétiens ont fait Pâques, où l’on bénit toujours l’eau et le feu.
        Est-ce l’Eveil, ce truc dont les Bouddhistes parlent en se tapant sur les cuisses tant ça les fait marrer ?
        Et bon, la suite, tu imagines. Je reviens à Wissant nuit tombante. On va se manger un moules frites. Je continue les jours suivants mes balades méditatives. Je chante à tue-tête en me faisant engueuler par les goélands. Je me baigne même une fois ou deux. Puis on revient. Les routines reprennent. La vie de tous les jours. Mais depuis je suis incapable de voir le monde, les gens, de la même manière.
        Comme si le doigt de l’Océan avait fait flleurir une boussole dans mon coeur.
    Voilà. Tu me connais, c’est difficile de trouver un mécréant pire que moi. Mais y a des fois, quand même, je me demande. Et si c’était pas comme on croit ? Si en réalité, tout était d’une simplicité tellement évidente que nous sommes incapables de la voir ?
        Et si c’était ça, la révolution ? S’arrêter ensemble et tous s’ouvrir au chant du monde ?